[TENDANCE SOCIALE DANS LA PRESSE: The Nail Index - Les Echos 27/09/2013]
Jamais un produit make up n'a autant créé le buzz. Un boom cosmétique qui rappelle celui des rouges à lèvres que Leonard Lauder avait surnommé début 2000, le « Lipstick Index ».
C'est un raz de marée planétaire, une grande première dans l'industrie de la beauté. Aux Etats-Unis, le marché du vernis a bondi de près de 41,8 %* en 2012 et en France, il a progressé de 7,8 %* alors que le secteur global du maquillage a baissé de 1,4 %* l'an dernier. Pas une marque ou une enseigne donc qui n'ait désormais sa ligne de vernis. Armani, Burberry et Manucurist viennent de lancer leur collection, quant à Marionnaud, l'enseigne vient de repenser toute sa gamme. Le business du vernis se porte si bien qu'il en ferait oublier la crise. Car manifestement, plus le portefeuille du consommateur crie misère, plus le marché des produits pour ongles jubile. Difficile de ne pas penser au Lipstick Index qui se résumait alors en une phrase : quand le monde allait mal, il s'offrait du rouge à lèvres en guise de méthode Coué. Du coloré, du glamour, du forcément moins cher qu'une virée au soleil. A ceci près que cet indicateur ne durait pas puisqu'il allait et venait au gré de l'humeur économique. Celui du vernis, le Nail Index, lui, est parti pour s'installer durablement, crise éco ou non. Certes, à l'instar du rouge, il est le produit de luxe et de beauté qu'on s'offre à moindres frais. En guise d'accessoire de mode, ce sera une touche de couleur avec les minivernis Sephora pour 4,90 euros ou ceux de Claire's pour 2,95 euros. De même, à défaut de collectionner les stilettos, on s'offre du Dior, du Chanel ou du Yves Saint Laurent à moins de 25 euros. Mieux encore, depuis novembre dernier, il est possible de louer son vernis Dolce & Gabbana ou Lancôme pour un mois grâce à Lacquerous, une start-up américaine surfant sur le constat que les femmes finissent rarement leur flacon. Malin.
Surenchère dans l'extravagance
Mais cette explosion du vernis va bien au-delà de ces aspects économiques. Chez Opi à New York, fleuron du secteur que le groupe Coty s'est offert pour 1 milliard de dollars en 2010, on constate que le phénomène s'est installé lentement mais sûrement. « Cela s'est déroulé en trois phases, explique Suzi Weiss Fisherman, vice-présidente d'Opi. Au départ, sortir les ongles laqués était un must pour les Américaines. Puis le facteur couleur est arrivé, avec des tonalités franchement osées que les femmes ont commencé à collectionner. Dernière étape et conséquence de cette surenchère dans l'audace, le goût pour l'extravagance avec les vernis à effets et le nail art. » Résultat, une déferlante de produits plus fous les uns que les autres et ce à l'échelle planétaire. Pourquoi sur tous les continents ? Selon Dominique Assenat responsable du secteur couleur et cosmétique chez Peclers, le phénomène se nourrit de deux grandes influences. D'une part, celle de la culture afro-américaine adepte d'effets spectaculaires et, d'autre part, celle de la culture asiatique, notamment japonaise avec le style kawaii et chinoise avec son goût pour les couleurs franches. Un melting-pot soutenu par la mondialisation et que tous les pays ont pu s'approprier en l'adaptant à leurs propres codes socioculturels.
Partout donc, une pléthore de nouveautés fait le buzz via les blogs, les réseaux sociaux, les tutoriels toujours plus nombreux ou encore les concours d'art comme la Battle de Manucure dont Bourjois est à l'origine. Côté produits, on citera les vernis à effets caviar et aux couleurs déjantées chez MUA et Ciaté (en exclusivité chez Sephora) ou encore les phosphorescents chez Opi et CH Nail. Chez Alessandro, on verra même la laque Sweet City changer de couleur selon les variations de température et chez Inglot 02M, il sera possible de s'offrir une collection de vernis hallal. « Depuis cinq ans, le marché se développe sur deux grands axes : toujours plus de couleurs et de longue tenue, et toujours plus d'effets grâce au nail art, aux nail patchs qui permettent de s'amuser sans être experte en manucure », détaille Elizabeth Anglès d'Auriac, directrice marketing Europe de Sephora. L'enseigne prévoit ainsi de nouveaux services dans son nail studio au coeur de son flaship des Champs-Elysées, et vient d'intégrer une nouvelle marque new-yorkaise, Andrea Fulerton.
Quel est le profil de ces onglo-addicts ? Il est aussi varié que celui de la nailista qui se fait poser des strass dans un nail bar, celui la trentenaire bobo-chic fan de colette, ou celle qui tout simplement s'amuse avec des vernis comme une fillette jouerait avec des déguisements. Dans l'histoire, la dimension régressive a, en effet, son rôle à jouer. Chacune y trouve donc son compte, notamment car cela permet multiplier les looks d'un coup de pinceau. A partir du moment où une couleur, une texture s'affiche sur les podiums ou sur les ongles d'une star, tout est possible. Et si, par exemple, la cliente du Bon Marché ose rarement s'encanailler avec du nail art, elle peut néanmoins s'offrir les couleurs les plus folles dénichées chez Kure Bazaar ou chez Opi. Même constat à la Nail Kitchen du BHV avec les gammes de Sinful Colors et d'Essie ou du côté de la grande distribution. Essie, numéro un du vernis chez Monoprix et Marionnaud propose plus de 90 nuances permanentes et Gemey Maybelline a lancé au printemps sa gamme Colorshow avec 59 teintes. Autant de références qui offrent aussi accès au maquillage à une clientèle de plus en plus jeune. « Il est cou rant de voir des filles de douze ans s'acheter leur laque avec leur propre argent de poche, explique Alexandra Falba, directrice formation Opi France. C'est le seul geste make up qui est généralement autorisé par les parents. » Emilie Coutant, sociologue et directrice du cabinet d'études Tendance Sociale fait un constat plus général : « Il est l'unique produit de beauté qui offre aux femmes l'opportunité de jouer avec leur propre identité et de s'exprimer via des formes et des couleurs qu'elles n'auraient jamais osées avant. Une grande première. » Et d'ajouter que grâce au vernis, elles ne suivent pas la mode, elles façonnent leur propre style dans un processus où la créativité est la clef. « C'est l'illustration parfaite d'un nouveau mode de consommation où chacun réinvente son propre univers en mêlant jeu, nouvelles technologies, tradition et amusement », conclut la sociologue.
Johanne Courbatère de Gaudric
* En valeur sur le marché du sélectif. Source : The NPD Group/panel BeautyTrends ®